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L’archipel des Quirimbas et l’ile d’Ibo

Après Mozambique Island, cap pour l’archipel des Quirimbas, située à 300 kms au nord à vol d’oiseau. C’est ma toute dernière étape en Afrique Australe avant de rejoindre le Kenya, d’où je quitterai le continent. Je termine donc sur quelques jours de détente bien mérités dans la lignée de Mozambique Island. Plages de sable blanc, bordées de cocotiers et de mangrove, l’eau limpide et chaude de l’Océan Indien, le calme et la sérénité de l’ile d’Ibo, loin du chaos du continent ; voilà qui donne envie de se poser quelques jours à ne rien faire !

Le samedi 8 aout, j’entame ma remontée vers le nord. Il me reste onze jours pour rejoindre Nairobi au Kenya, à plus de 2000 kms de l’ile de Mozambique. Mais avant de finir mon périple africain, je m’accorde quatre jours de détente sur l’archipel des Quirimbas. Souhaitant en profiter un maximum sur l’ile, je me lance le défi de rejoindre Quissanga en une journée. Quissanga est la porte d’entrée de l’archipel, au cœur du parc national des Quirimbas, à plus de 450 kms au nord. Quand on connait la qualité des transports au Mozambique, parcourir autant de distance en une journée relève du miracle… La plupart des voyageurs font ce trajet en deux jours, et s’arrêtent à Pemba pour faire le dernier tronçon le lendemain.

C’est donc sur un départ très matinal que je quitte Mozambique Island. Je prends mon premier bus à 4h30 du matin. Il relie l’ile à la ville de Namialo, le carrefour pour le nord. Nous prendrons la route assez rapidement, à ma grande surprise. D’autant que le bus est à moitié vide. Hum, quelque chose ne tourne pas rond… Une fois le continent rallié, nous nous arrêtons. Evidemment, hors de question de partir sans remplir le bus ! Le seul hic : cinq bus partent en même temps et essaient de trouver assez de passagers pour partir. Je n’arriverai jamais à comprendre la logique dans ce pays !

S’en suit une heure et demi d’un jeu absolument ridicule où les rabatteurs s’arrachent les passants pour qu’ils rentrent dans leur bus, dans les hurlements et une agressivité animale. Les locaux étant bien évidemment habitués à ce rituel matinal jettent un œil dans chaque bus et ne montent que s’ils jugent le départ “imminent”. Une sorte de pari que chacun fait, car personne ne sait à quelle vitesse un bus va se remplir. Et ainsi, des bus arrivés plus tard parviennent à trouver leurs passagers plus rapidement que d’autres car des gens ont parié sur eux. Je suis très rapidement exaspéré par ce jeu que je trouve puéril et d’une stupidité incroyable. Au lieu de se mettre d’accord sur des horaires, on préfère se faire la guerre, mettre la vie des passagers en péril, tout en faisant perdre le temps de tout le monde. Ah mais oui, mais le temps n’a pas de valeur ici, donc on s’en fout… Et puis la vie des passagers, on s’en fout aussi, non ? On roule à toute vitesse pour semer les autres bus, on les dépasse sans visibilité, on pile quand une personne fait signe au conducteur (ou pas d’ailleurs !), et tout ça, pour arriver le premier et pêcher les passagers sur le bord de la route. Et quand on arrive trop loin, on fait demi-tour et on re-parcourt les 10-15 kms que l’on vient de se manger pour repartir à la pêche. Un peu le même principe que chercher une place de parking en tournant en rond sans cesse et en espérant qu’une place se libèrera à la seconde où l’on passe devant, plutôt que d’attendre à un endroit que quelqu’un ne vienne sortir sa voiture. La pollution et le prix de l’essence perdue dans ce jeu ne font certainement pas partie des considérations des conducteurs de chapas.

Résultat : on se lève donc à 4h du matin pour finalement ne partir qu’à 6h30. Cette journée de transport n’a pas encore commencé que tout me fatigue déjà dans ce pays. Nous sommes à des années lumières de la civilisation ici. A ce moment, je suis en train de réfléchir sérieusement à l’idée de faire le trajet direct jusqu’à la frontière tanzanienne, car je ne tiendrai pas plus longtemps au Mozambique. Mes nerfs ne le supportent plus. J’essaie de rester ouvert, mais voyager ici est en train de m’user. Et je ne suis pas venu là pour ça… D’autant que je ne me sens clairement pas en sécurité dans les mains de ces fous furieux du volant, qui se fichent royalement des gens qu’ils transportent. Certainement un tas de billets sur pattes à leur yeux, plutôt que des semblables.

On prend finalement la route, plein à craquer. Je fume de colère. Je suis conscient que je ne devrais pas me prendre autant la tête, mais je suis persuadé que tout occidental finirait par en perdre son latin. On roule à une vitesse folle. Sans doute pour rattraper le temps perdu à Lumbo. La journée va être longue et pénible. Arrivé à Namialo, je monte immédiatement dans une chapa pour Pemba, et étant le dernier à monter, nous partons de suite. Tout s’enchaine plutôt bien. A chaque carrefour avec une grande route, je suis transféré dans un mini-bus différent qui part aussitôt. Force est de reconnaitre que le système marche à peu près, même si cela veut dire perdre un peu la tête en chemin. La route est goudronnée sur tout le trajet. Si bien que j’arrive à Pemba vers 14h, après quatre changements de bus. Les différents conducteurs étaient tous aussi peu aimables qu’inconscients au volant. Mais je finis par accepter que je ne pourrai pas me déplacer autrement dans ce pays et je n’ai pas d’autre choix que de remettre mon destin entre leurs mains.

J’ai eu le temps de reprendre mes esprits en route. Vu qu’il faut encore deux jours de transport jusqu’à la frontière, je reste sur mon idée de départ de rallier l’ile d’Ibo. Au moins cela me fera une coupure. Je descends du bus dès que je rentre dans Pemba et cherche une chapa pour Quissanga. Rien de direct à cette heure-ci, je devrais donc prendre le risque d’enchainer encore deux chapas et potentiellement me retrouver coincé en route en l’absence de correspondance. J’ai ma tente, me dis-je. Je suis libre ! Et je serai dans des petits villages, ça craint moins qu’en ville.

Sur la route pour Quissanga, je me rends compte que l’on revient en arrière sur plus de 100 kms, que je viens de parcourir pour aller à Pemba. Merci le Lonely Planet pour les indications partielles et erronées, j’aurais pu descendre au carrefour d’avant et ne pas perdre deux heures. Ce sont les aléas du voyage, il faut faire confiance en l’information que l’on récolte sur les guides de voyage ou par le biais des locaux. Même si parfois elle peut s’avérer fausse. Je dois reconnaitre que j’aurais pu me renseigner sur internet avant de partir pour obtenir le chemin le plus optimisé. Cela évite les déceptions de ce genre, et surtout cela évite les prises de risque inutiles.

Car ce détour de 2h me fera arriver au milieu de nulle part à 16h, une heure avant le coucher du soleil. Et à 75 kms de Quissanga, le dernier tronçon étant une route non goudronnée en très mauvais état. C’est en réalité deux heures et demi qu’il me reste jusqu’à Quissanga. Mission impossible en somme. Mais quand un véhicule passe par là à 17h et me propose de m’avancer jusqu’à Maate (au moins les 3/4 du trajet restant), j’accepte. Après tout, je peux toujours camper en route, et avec un peu de chance, un autre véhicule ou camion passera par là pour les derniers 15-20 kms.

Sur la route, nous prenons un autre passager, Daniel, qui va également à Quissanga. Je me sens rassuré de ne plus être seul avec l’intention de rallier cette ville si tard. Je lui explique mon plan et il m’arrête dans mon élan, en me disant que plus aucun véhicule ne passera si tard. Et camper à Maate n’est pas du tout une bonne idée. Ce n’est pas sûr du tout, je serai la proie de tous les habitants qui voit en moi de l’argent facile. A force de me raconter des histoires en tout genre, il finit par m’inquiéter sérieusement. Sans doute suis-je naïf, mais sur mon parcours africain j’ai quand même croisé marcheurs et cyclistes qui débarquent tous les soirs dans des villages de toute l’Afrique pour camper et ils ne m’ont jamais raconté des histoires aussi tordues. Mais ils n’étaient pas au Mozambique et pas ici en particulier ; je prends donc au sérieux ses mises en garde.

Daniel attend une moto qui va le déposer à Quissanga, lui et ses marchandises. Mais il a maintenant en tête de trouver des amis qui travaillent à l’hôpital du village pour que je puisse y camper, sous la sécurité du vigile. Daniel est prof d’anglais à Quissanga et certains de ses étudiants et amis vivent ici. Ses amis nous disent qu’il n’est pas possible que je reste à l’hôpital, le vigile n’étant pas là ce soir. Mais ils me proposent de dormir chez l’un d’entre eux. Daniel a beau être prof d’anglais, son anglais est très très approximatif et mes tentatives de communiquer en espagnol avec eux ne fonctionnent pas. La situation commence à être vraiment angoissante. Nous sommes dans le noir, tous habitants me regardent de travers, des fioles d’alcools à la main, les enfants viennent demander de l’argent, et je ne comprends rien. Certains me disent que je dormirai à Quissanga ce soir, d’autres que je dois dormir chez eux à Maate. On finit par se mettre d’accord et je suis l’un d’entre eux qui va m’héberger ce soir. Je laisse Daniel, après avoir échangé nos coordonnées.

Son ami me fait poser tous mes sacs chez quelqu’un, puis me mène chez lui. Pour finalement me demander en route de monter dans une ambulance pour aller récupérer un malade, me disant que cette ambulance me déposerait à Quissanga après la course. A ce moment, c’en est trop, je ne comprends vraiment rien et je prends vraiment peur. Ce n’est pas du tout ce qu’on avait entendu avec Daniel et cette histoire est louche. On se croirait dans un film… Je ne monterai pas dans un véhicule avec un inconnu, en laissant mes sacs chez un autre inconnu. Je me mets en colère et exige que l’on me ramène à mes sacs, et je rejoins Daniel, la seule personne ici qui a l’air bien intentionnée.

Je mets les choses au clair avec lui, je lui explique que je ne passerai pas la nuit dans ce village de fous et que je veux rejoindre Quissanga, coute que coute. Peut-être n’ont-ils pas de mauvaises intentions, mais je ne suis plus en mesure de faire confiance à quelqu’un ici. A vrai dire, même Daniel me parait louche. Il ricane sans arrêt, comme si la situation était comique, tout en insistant sur le fait que je ne peux pas rester seul ici. Je finis par m’énerver aussi avec lui, en lui expliquant qu’il n’y a rien de drôle et qu’il doit cesser de rigoler, car ils rendaient la situation encore plus anxiogène qu’elle ne l’était déjà. Il reprend son sérieux, et alors qu’il me propose de passer la nuit également à Maate pour ne pas me laisser tout seul, nous entendons un camion s’approcher. Il va à Quissanga ! La délivrance, c’est la fin de ce sketch !

A l’arrière du camion, Daniel s’excuse pour ses amis et me propose de venir dormir chez lui. J’accepte avec plaisir ; on ne refuse pas une occasion de dormir chez l’habitant. Nous arrivons chez lui vers 22h. Le défi de faire Mozambique Island – Quissanga est relevé. Mais la journée fut longue, très longue. Les transports sont véritablement éprouvants dans ce pays. Et l’épisode de Maate était aussi bizarre qu’effrayant. La première fois que je me sens aussi vulnérable depuis que je suis ici. Il faut reconnaitre que la menace était plus psychologique que réelle. Daniel, partant d’une très bonne intention à la base, a fini par me faire vraiment peur. La situation n’était certes pas idéale pour un blanc seul en pleine nuit, mais je suis persuadé que j’aurais pu frapper à la porte d’une famille et demander si je pouvais planter ma tente dans leur jardin, sans tout ce drama. Beaucoup de touristes prennent ce risque et n’ont jamais de souci. C’est un fait, les locaux, où que l’on soit, ont tendance à être sur-protecteurs vis à vis des touristes étrangers et leurs mises en garde peuvent être un peu extrêmes. En ce qui me concerne, je suis plutôt joueur, mais je n’en suis pas encore au stade d’ignorer les warnings des locaux. Car il y a toujours une part de vérité dans ce qui est dit. Il ne faut juste pas succomber à la panique et toujours faire la part des choses.

Ce soir-là, je serai donc accueilli par la petite famille de Daniel, sa femme enceinte et ses deux petits garçons. Je plante ma tente dans le jardin. On m’offre même le repas. Je suis profondément touché par leur gentillesse et l’accueil qu’ils me réservent. Leurs revenus sont très modestes, et je suis pourtant invité à diner, puis à déjeuner le lendemain matin. La barrière de la langue ne me permet pas d’exprimer à quel point je suis reconnaissant. Mais je suis heureux d’avoir emporté avec moi stylos et ballons qui illuminent le regard des trois enfants lorsque je leur en fais cadeau.

Le lendemain, Daniel me conduit en moto jusqu’au village de Tandanhangue, 15 kms plus loin, d’où part le bateau pour l’ile d’Ibo. Je le remercie infiniment pour son aide et monte dans le premier bateau. A 10h du matin, j’arrive sur l’ile d’Ibo. Je trouve un petit camping douillet près de la plage. Je pose ma tente dans le sable et souffle enfin. La détente peut enfin commencer ! Je ne fais AUCUN plan, j’ai juste envie de me poser et profiter de cet endroit. Je ferai une sieste dans un hamac jusqu’en début d’après-midi. Puis me baladerai sur l’ile le reste de la journée.

Il faut reconnaitre une chose : la difficulté de se rendre d’un point A à un point B et par conséquent l’épreuve que l’on fait subir à son corps pendant les déplacements permettent d’apprécier d’autant plus la destination et de réellement souffler lorsque l’on y est. C’est ce qui fait le charme du Mozambique. Mais je crois que l’on peut même le généraliser au voyage dans sa globalité. Et c’est ce que j’aime dans le voyage au long cours. On peut réellement en profiter, malgré la fatigue des transports, car on a le temps. Et la récompense à l’arrivée est d’autant plus grande que l’on a “souffert” pour arriver jusqu’ici. Le voyage au Mozambique, ça se mérite ! Je suis un peu plus dubitatif quand je rencontre des touristes qui sont au Mozambique pour deux semaines dans le but de se reposer et profiter de la plage. Passer quelques jours dans les transports quand on a plusieurs mois de voyage, ça peut passer. En revanche, quand il s’agit de 10-15 jours de vacances, je ne suis pas très sûr que ça en vaille la peine. Au moins, le dépaysement est garanti !

Ces dernières semaines ont vraiment été éprouvantes. Et j’ai juste envie de me reposer. Pas besoin d’explorer toutes les iles de l’archipel. L’ile d’Ibo me suffira. Sur ces quatre jours aux Quirimbas, je passerai trois d’entre eux sur Ibo, à dormir, me baigner, lire, me promener dans le village, dans la mangrove ou les plages ! Ce n’est d’ordinaire pas tout à fait mon style de voyage, mais j’en arrive à un point où il me faut des vacances au milieu de mes vacances. En tout cas, si je veux pouvoir repartir en forme pour la suite des aventures. Et je dois avouer que c’est agréable de ne rien faire, de juste prendre le temps de se reposer.

Je m’offre tout de même une jolie excursion en bateau pour découvrir un peu les environs. Avec un très sympathique groupe de catalans, nous commençons la journée par une petite séance observation de dauphins près d’Ibo. Des dizaines de dauphins vivent très près de l’ile et se font un plaisir de se montrer à l’approche d’un bateau. Ils sont vraiment joueurs et ne se lassent pas de notre présence. Nous allons ensuite nous poser sur un banc de sable pour nous baigner. L’endroit est fabuleux. Le sable blanc et l’eau transparente en font un vrai petit bout de paradis. Tandis que nous nous baignons, nous voyons un magnifique “lula” (calamar) qui s’approche dangereusement de la plage. Aussitôt notre guide sort une pale du bateau et la tend à notre pilote, qui l’empale sous nos yeux. Ici, la pêche c’est un reflexe. Et un beau calamar comme celui-là peut nourrir deux à trois personnes !

Nous continuons la journée par une petite promenade de deux heures dans la mangrove pour s’approcher de l’ile de Quirimba. Un bateau à voile nous récupère en route pour traverser jusqu’à l’ile. Ibo et Quirimba sont deux iles très proches l’une de l’autre. Il arrive que la marée permettre de traverser à pied. Mais cette saison-ci, il faut s’aider d’un bateau pour la dernière partie, même pendant la marée basse. Après un bon déjeuner de poisson, je pars découvrir les plages de l’ile de Quirimba. L’une des plus belles plages qu’il m’ait été donnée la chance de voir. Bordée de cocotiers et de mangrove, la plage de sable de blanc s’étend sur des kilomètres. La marée basse rend l’endroit encore plus extraordinaire, avec un joli jeu de reflets. Et il n’y absolument personne ! Décidément, j’ai bien fait de venir jusqu’ici !

Je repartirai des Quirimbas en pleine forme. Complètement reposé. Et prêt à dire au revoir à cette Afrique qui m’a beaucoup gâté. Ce passage sur l’archipel aura été une très belle conclusion à ces deux mois et demi de parcours en Afrique Australe. Le voyage c’est avant tout des heures de déplacements et la découverte d’endroits fabuleux. Je me rends compte au fil des articles que je partage avec vous essentiellement ces jours de transport car c’est justement ces parties-là, même si elles peuvent parfois être très difficiles, qui caractérisent l’aventure et le voyage. C’est ainsi que l’on découvre le plus intensément un pays et ses habitants. Le Mozambique aura été clairement un pays à rude épreuve, mais il m’a permis de voir une facette de l’Afrique qui m’avait pas encore été révélée jusqu’à maintenant. Et puis tout ne peut pas être facile en voyage !

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